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L’Aigle transpercé ou la Nuit
assassinée (à propos des
méga-constellations de satellites) |
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L’astronomie a été (et reste) menacée par la pollution
lumineuse émise depuis le sol (éclairages). Des actions de sensibilisation (et la crise énergétique)
ont permis aux élus de prendre conscience de ce problème qui est toutefois
encore loin d’être résolu. Par ailleurs depuis peu, un nouveau fléau s’est ajouté
aux menaces pesant sur l’astronomie. Cette nouvelle menace vient paradoxalement du ciel :
il s’agit de la lumière réfléchie par les satellites. Pendant longtemps, les satellites étaient en nombre
limités et leur incidence sur l’observation du ciel restait négligeable. Depuis quelques années cependant, on assiste à une
prolifération incontrôlée du nombre de satellites. Ainsi, des projets de méga-constellations de satellites
se développent et certaines Sociétés prévoient de lancer des dizaines de
milliers de satellites… Le nombre de satellites pourrait ainsi passer de
9 000 (chiffre estimé en mars 2023) à 60 000 en 2030. Quant au
nombre de déchets de plus de 1 mm en orbite, il serait -
en 2022 - de 130 000 000. Les nuits d’été permettent d’ores et déjà de mesurer
l’incidence délétère de la prolifération satellitaire. A titre d’exemple, lors de mes observations du ciel au
cours de l’été 2022 il était déjà impossible d’échapper plus de quelques
minutes à ce fléau même avec un télescope d’une focale de 1000 mm. Les satellites traversaient le champ régulièrement en
laissant leurs balafres (traces). Les images des astrophotographes
sont des images compositées au moyen de la méthode
"Kappa-Sigma-clipping" laquelle permet
d’atténuer les traces de satellites. Par ailleurs pour compositer
leurs images les astrophotographes retirent au
préalable les images brutes comportant les traces satellitaires les plus
lumineuses. Ces belles images présentées au public ne correspondent
donc pas à la réalité du ciel d’aujourd’hui. Afin de se rapprocher davantage de cette réalité,
j’insère ci-dessous une image de la nébuleuse de l’Aigle (M16) réalisée en
juillet 2022 et compositée cette fois avec une
méthode qui n’a pas pour effet de dissimuler les traces satellitaires
parasites : Traces
de satellites (et, dans une moindre mesures, traces d’avions) ; cliquer
sur l’image pour l’agrandir : A noter par ailleurs que les acquisitions photographiques
ayant servi à réaliser cette image ont été faites
alors que la nuit noire était déjà bien entamée. Le phénomène du parasitisme
satellitaire était bien pire encore au crépuscule (avec alors un satellite
qui suivait l’autre) et je ne parle pas des quelques flashs surpuissants vus
à l’œil nu, à côté desquels les iridiums d’antan feraient pâle figure… Ce phénomène n’en est qu'à son commencement et ne fera
qu’empirer. Une étude révèle que plus de 300 dossiers de constellations
représentant plus d'un million de satellites ont été déposés auprès de l'Union
internationale des télécommunications (UIT) entre le 1er janvier
2017 et le 31 décembre 2022 (cf. magazine Science du 13 octobre 2023 volume
382). L’immensité du ciel accaparée pour satisfaire la cupidité
de quelques entreprises. Pendant ce temps, il n’existe toujours pas de régulation
internationale. La FCC américaine en ayant autorisé la création d’une
première méga constellation de satellites en application d’une procédure
contestée (cf. https://www.gao.gov/products/gao-23-105005) a
ouvert une boîte de pandore et - en l’absence de régulation internationale - le
top départ de la course à l’échalote a été donné : nombre d’entreprises
ou d’Etats veulent à présent créer eux-aussi leur propre constellation de
satellites. Cette dérive et ce laisser faire de la part des autorités
sont consternants… Selon une étude scientifique, dans les années 2030 pour
un champ de vision de 7°, environ huit satellites seront visibles partout où
l'on regardera et ils seront généralement les objets les plus brillants. Ils traverseront
le champ de vision en environ 10 secondes et seront continuellement remplacés
par de nouveaux satellites en transit (sur ce sujet : https://www.nature.com/articles/s41550-022-01655-6) Le phénomène impactera surtout les observations réalisées
durant la belle saison de mai à août. Les algorithmes d’empilement des logiciels utilisés en
astrophotographie permettent encore d’entretenir la fausse illusion d’un ciel
vierge mais pour combien de temps ? Ceux qui souffriront le plus du phénomène de
prolifération satellitaire seront les astronomes faisant de l’observation
visuelle pure (car il n’existera pour eux aucune solution) et les astronomes
professionnels dont plusieurs sujets d’études seront gravement
compromis. Notamment, certains projets de constellations
satellitaires utiliseront des fréquences radio qui pourraient
empiéter sur des parties du spectre traditionnellement réservées aux
observatoires au sol. Ce problème est exacerbé par le fait que pour obtenir
des résultats favorables en matière de densité de flux (EPFD) et de
prévention des interférences radio, certaines entreprises n’hésitent pas -
pour un seul et même projet de constellation - à scinder artificiellement
leurs demandes auprès de l'Union internationale des télécommunications plutôt
que de ne déposer qu’une seule demande comme cela devrait être normalement le
cas (le fait de multiplier les dépôts de dossiers auprès de l’UIT pour un
seul et même projet de constellation permet d’obtenir des résultats
favorables en matière d’EPFD alors que ces résultats seraient défavorables si
une seule demande était déposée pour l’ensemble cf. magazine Science 13
octobre 2023 VOL 382)… La multiplication des satellites perturbera par ailleurs gravement
les observations et détections optiques. On est en train de détériorer le domaine de recherche des
astronomes professionnels dans l'indifférence quasi générale et tout cela
pour de l'internet aérien. On marche sur la tête. Sans compter la pollution induite : -
par les multiples lancements de fusées qu’il faudra
réaliser pour constituer et entretenir ces méga-constellations de satellites
en orbite basse -
et par les nombreuses désintégrations des satellites en
fin de vie dans l’atmosphère terrestre, ces satellites ayant une courte durée de vie (moins de 5
ans pour un satellite en orbite basse) et nécessitant d’être régulièrement
remplacés. Les désintégrations en nombre de ces satellites sont
d’ores et déjà en train d’induire une importante pollution de l’atmosphère
laquelle se retrouve chargée en divers produits chimiques, en oxydes d’aluminium
néfastes pour la couche d’ozone et autres particules conductrices susceptibles
de perturber gravement l’ionosphère et la magnétosphère. Ces particules peuvent rester au sein de notre atmosphère
pendant des années voire de manière quasi perpétuelle. Qui plus est, la multiplication à venir des traces de
satellites dans le ciel fait planer un autre risque existentiel pour note
planète et notre espèce dans la mesure où cela va perturber de plus en plus
la détection des astéroïdes géocroiseurs
susceptibles de menacer la Terre. Une partie de ces astéroïdes géocroiseurs
sont en effet tapis entre la Terre et le Soleil et dans ce cas le seul moyen
de les détecter (pour éviter le halo lumineux du Soleil) est d’observer le
ciel au crépuscule, soit précisément au moment où les satellites en orbite
basse sont les plus visibles et laissent le plus leurs traces… A défaut de régulation internationale, il est par
ailleurs à craindre que la multiplication des satellites et des déchets
spatiaux en orbite finisse - d’ici quelques décennies - par priver l’humanité
de tout accès physique et stratégique à l’espace. Le grand public n’en a pas conscience et ne voit que les
messages de propagande en faveur de l’internet aérien et du "New Space", diffusés à l’initiative d’agences de
communication puis relayés par des algorithmes internet qui, curieusement,
occultent quasi systématiquement le point de vue des astronomes… Il aura fallu attendre l’année 2023 pour que le sujet,
dénoncé depuis des années par certains astronomes, soit enfin abordé en prime
time sur des chaînes publiques (merci à elles). Ainsi en 2023, les chaînes France 5 et Arte diffusaient
chacune deux - excellentes - émissions consacrées à cette problématique, dénommées
respectivement « Science grand
format : Alerte en orbite la menace des débris spatiaux » et « Les conquistadors de l’espace ». Après avoir pollué le plancher des vaches, détraqué le
climat, déversé du plastique dans les océans, voilà que l'on s'attaque à
présent au bien commun (ou qui devrait l'être) qu'est le ciel. Pour bien faire les choses, il aurait fallu que les
pouvoirs publics au niveau international s'emparent de ce sujet, qu'ils créent
éventuellement une seule grande constellation de satellites et que l'on
oblige les opérateurs télécoms à la louer et à la partager. Aujourd’hui, la menace pour l’environnement (notamment
pour la couche d’ozone) est telle qu’un moratoire devrait être institué au niveau international au sujet du développement
des méga-constellations de satellites. Que l'on permette à toute entreprise dans le monde de
lancer des milliers de satellites, sans régulation internationale, est pure
folie. Où est le développement durable dans tout ça ? Les Pouvoirs publics du monde entier connaissent la
problématique mais sauront-ils réagir ou capituleront-ils face à la puissance des lobbies en
œuvre ? Le Politique a-t-il encore son
mot à dire dans l’intérêt général ou pliera-t-il face aux intérêts
particuliers ? L’Histoire jugera. Mais
qu’est-ce que le « New Space » ? Ceux qui s’intéressent à l’espace aujourd’hui peuvent
difficilement échapper, sur internet, aux contenus et articles en faveur du «
New Space ». En effet, des algorithmes leur imposent ce type de
contenus, assoyant ainsi un peu plus la propagande en la matière. Mais qu’est-ce que le « New Space
», dont on parle tant et dont on vante tant les mérites ? Les termes de « New Space »
n’ont aucune signification précise. Il s’agit d’un concept abstrait,
permettant à ses acteurs de ne pas avoir à qualifier précisément leurs
activités. En pratique et pour l’essentiel, les activités du « New Space » sont initiées par des acteurs privés et visent à
exploiter commercialement l’espace pour satisfaire des intérêts particuliers.
Sauf exceptions, ces activités ne concernent pas l’intérêt général et n’ont
pas de vocation scientifique. Pourtant, le secteur du « New Space
» bénéficie massivement de subventions publiques. Le concept de « New Space »
vise également à essayer de "ringardiser" ce qui se faisait dans le
secteur spatial avant l’avènement des nouveaux acteurs privés. En effet, qui dit « New Space »
sous-entend une opposition avec un soi-disant "Old Space". D’ailleurs, les lobbies du « New Space
» présentent souvent les activités spatiales publiques comme « vieillissantes
», « somnolentes ». Ils entendent ériger le New Space
en "relève" dynamique insufflant un nouveau rêve d’espace. Cette présentation des choses par les lobbies est assez
étonnante lorsque l’on connaît les prouesses technologiques et le prestige - restés
inégalés - des grandes missions spatiales publiques de "l’Old Space". Les missions spatiales publiques telles que Voyager,
Cassini-Huygens, Rosetta, New Horizons etc font
rêver car il s'agit de missions d'Etats, concertées, à vocation scientifique,
aboutissant à des avancées fantastiques dans la compréhension de ce qui nous
entoure. Par contre avec les dérives actuelles d’un « New Space » prédateur où chaque opérateur privé essaye
de s'accaparer son coin d’espace afin d'en tirer un maximum de bénéfice, il
devient difficile de rêver… Aujourd’hui, à défaut de régulation internationale,
l’essor du New Space (via par exemple les
constitutions de méga-constellations de satellites) se fait au détriment du
développement durable, de l’environnement et de l’astronomie. Il risque de
tendre vers l’anarchie. L’ère spatiale est subrepticement en train de passer de
l’âge d’or des grandes missions spatiales publiques et coordonnées à vocation
scientifique, à celui du Far West du « New Space
». Quid
de la colonisation de Mars annoncée par le secteur du New Space
? A défaut pour le New Space de
faire intrinsèquement rêver, certains lobbyistes essayent néanmoins
d’instiller le rêve dans l’esprit du grand public en lui faisant croire que
le New Space conduira à la colonisation de la
planète Mars par l’espèce humaine. Attention, l’abus de science-fiction stimule
l’imagination mais nuit gravement à la lucidité… Le projet de colonisation de Mars est farfelu et - en
tout état de cause - non souhaitable. Si Mars est une planète intéressante à étudier et à
explorer, il ne s’agit en aucun cas d’une planète propice à la colonisation -
c’est-à-dire à la vie -. Mars est une petite planète lointaine, glaciale, stérile,
aride, dont la surface est toxique et dont l’atmosphère est si ténue que
notre sang y entrerait en ébullition au moindre accident de décompression. Elle est irradiée en permanence de rayonnements nocifs et
bombardée de particules cosmiques. La technologie nécessaire pour y envisager un
établissement pérenne de l’espèce humaine est très loin d’être au point. Qu’on se le dise, Mars n’est pas un « plan B » dans
l’hypothèse où l’Homme ne serait pas capable de préserver la Terre. Non, ce n’est pas le « New Space
» qui sauvera l’Humanité en lui permettant de se délocaliser ailleurs dans le
système solaire… Ne croyez pas les fausses prophéties et vraies impostures
des temps modernes… Le projet de colonisation de Mars n’est qu’un leurre. Pendant ce temps, le saccage du ciel de la planète Terre
continue. Il s’agit là d’un effet bien concret… ***** Pour avoir davantage
d’informations sur les incidences des méga-constellations de satellites sur l’astronomie
et l’environnement, il existe (notamment) les liens et ouvrages suivants : https://astronomersappeal.wordpress.com/ https://www.nature.com/articles/s41550-022-01655-6
: « The case for space
environmentalism » https://www.iau.org/news/pressreleases/detail/iau2211/ Magazine
Science 10 mars 2023 page 990 « Protect
Earth’s orbit : Avoid high seas mistakes » Magazine
Science 16 juin 2023 pages 1116 et suivantes « Losing
the Darkness » & « The
increasing effects of light pollution on professional and amateur astronomy » Magazine Science 14 juillet 2023 page 113 « Satellites leak
radio waves » Magazine Science 13 octobre 2023 page 150 « One million (paper)
satellites » « Potential Perturbation of the Ionosphere
by Megaconstellations and Corresponding Artificial
Re-entry Plasma Dust » ; arXiv:2312.09329v1 [physics.ao-ph] 6 Dec 2023 « Satellite megaconstellations
create risks in Low Earth Orbit, the atmosphere and on Earth », 11,
10642, Scientific Reports, doi:
10.1038/s41598-021-89909-7. « Potential ozone depletion from satellite
demise during atmospheric reentry in the era of mega-constellations »,
Geophysical research letters 10.1029/2024GL109280 « Burned-up satellites are tainting the
atmosphere », Science vol. 385, 26 juillet 2024
page 354 |