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Observations en date du 2
juillet 2022 L’Aigle transpercé ou la Nuit
assassinée |
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Les nuits entourant le solstice d’été sont réputées
défavorables à la pratique de l’astronomie. Pourtant, l’une des deux meilleures nuits dont j’ai le
souvenir au Champ du feu fut celle du 21 juin 2014 avec son ciel coronal et
une sensation de totale transparence. La nuit du 2 juillet 2022 ne se hissait pas à ce niveau
de qualité mais de peu… L’air sec donnait aux étoiles un aspect cristallin
avec - encore une fois - cette rare sensation de transparence. La Voie Lactée dominait l’horizon Sud et était visible
jusqu’au ras de celui-ci. En Alsace, seul le site du Champ du feu offre aux
astronomes un tel panorama astronomique. Nous eûmes près de trois heures de nuit noire, juste
assez pour en profiter sans rentrer ensuite trop fatigués vers Strasbourg. Le vent bien que prévu était aux abonnés absents et la
température relativement douce. J’avais souhaité profiter de la période entourant le
solstice et de la transparence du ciel pour imager un objet bien connu mais
relativement bas (27° au méridien, c’est-à-dire à son élévation maximum). Il s’agit de la nébuleuse de l’Aigle (IC 4703), flanquée
de son amas ouvert (M16) et de ses fameux "piliers" que le
télescope Hubble a popularisés en les présentant comme un lieu de genèse
d’étoiles alias « les piliers de la création ». Cliquer
sur l’image pour l’agrandir : (poses
de 91 x 60 secondes à 800 iso avec un Eos RA et un T200/1000 mm) Crop sur
« les piliers de la création » ; cliquer sur l’image pour l’agrandir : Cette forge céleste, bien que toujours active, serait en
réalité sur le déclin (les jeunes étoiles de l’amas, nées de la nébuleuse,
ayant tendance à dissocier et à souffler les gaz et poussières environnants). Au cours de cette nuit nous entendîmes non loin de nous
une querelle de canidés que je présume être - à défaut de les avoir vus dans
l'obscurité - des renards. Un bolide de taille modeste est tombé au-dessus de
l’horizon Est (d’où encore une fois l’intérêt de disposer d’un site
d’observation avec horizon dégagé), tandis que Jupiter montait et rayonnait
en majesté tel un phare. Un autre astronome nous a fait profiter de son nouveau
télescope en visuel. Cette nuit proche du solstice nous a également permis de
mesurer l’incidence délétère de la prolifération satellitaire. En début de nuit il était impossible d’échapper plus de
quelques minutes à ce fléau même avec une focale de 1000mm. Les satellites traversaient le champ régulièrement en
laissant leurs balafres (traces). Les images ci-dessus sont des images compositées
à partir de la méthode "Kappa-Sigma-clipping"
laquelle permet d’atténuer les traces de satellites. Par ailleurs pour
réaliser ces images j’avais retiré les brutes comportant les balafres les
plus lumineuses. Ces images ne correspondent donc pas à la réalité du ciel
d’aujourd’hui. Afin de se rapprocher davantage de cette réalité,
j’insère ci-dessous une autre image compositée
cette fois avec une méthode qui n’a pas pour effet de dissimuler les traces satellitaires
parasites : Traces
de satellites (et, dans une moindre mesures, traces d’avions) ; cliquer
sur l’image pour l’agrandir : A noter par ailleurs que les acquisitions ont été
réalisées alors que la nuit noire était déjà bien entamée. Le phénomène du
parasitisme satellitaire était bien pire encore au crépuscule (avec alors un
satellite qui suivait l’autre) et je ne parle pas des quelques flashs
surpuissants vus à l’œil nu, à côté desquels les iridiums d’antan feraient
pâle figure… Ce phénomène n’en est qu'à son commencement. L’immensité du ciel accaparée pour satisfaire la cupidité
de quelques milliardaires. Pendant ce temps, toujours pas de régulation
internationale. En ayant déjà autorisé la création de méga constellations
de satellites sans régulation internationale, la boîte de pandore a été
ouverte et le top départ de la course à l’échalote a été donné : nombre
d’entreprises ou d’Etats veulent à présent créer eux-aussi leur propre
constellation de satellites. Cette dérive et ce laisser faire de la part des autorités
sont consternants… Selon une étude scientifique, dans les années 2030 pour
un champ de vision de 7°, environ huit satellites seront visibles partout où
l'on regardera et ils seront généralement les objets les plus brillants. Ils traverseront
le champ de vision en environ 10 secondes et seront continuellement remplacés
par de nouveaux satellites en transit (sur ce sujet : https://www.nature.com/articles/s41550-022-01655-6) Le phénomène impactera surtout les observations réalisées
en été. Les algorithmes d’empilement des logiciels utilisés en
astrophotographie permettent encore d’entretenir la fausse illusion d’un ciel
vierge mais pour combien de temps ? Ceux qui souffriront le plus du phénomène de
prolifération satellitaire seront les astronomes faisant de l’observation
visuelle pure (car il n’existera pour eux aucune solution) et les astronomes
professionnels dont plusieurs sujets d’études seront gravement
compromis. On est en train de détériorer leur domaine de recherche
dans l'indifférence quasi générale et tout cela pour de l'internet aérien. On
marche sur la tête. Le grand public n’en a pas conscience et ne voit que les
messages de propagande en faveur de l’internet aérien et du "New Space", diffusés à l’initiative d’agences de
communication puis relayés par des algorithmes internet qui, curieusement,
occultent quasi systématiquement le point de vue des astronomes… Après avoir pollué le plancher des vaches, détraqué le
climat, voilà que l'on s'attaque à présent au bien commun (ou qui devrait
l'être) qu'est le ciel. Pour bien faire les choses, il aurait fallu que les
pouvoirs publics au niveau international s'emparent de ce sujet, qu'ils
créent éventuellement une seule grande constellation de satellites et que
l'on oblige les opérateurs télécoms à la louer et à la partager. Que l'on permette à toute entreprise dans le monde de
lancer des milliers de satellites, sans régulation internationale, est pure
folie. En savoir plus en cliquant sur ce lien |